L’impact du design graphique au temps du Coronavirus

Le logo Grizzli pour le #200Challenge

Affiches symboliques, logos modifiés ou détournés, dessins graphiques et motion design efficaces… À l’heure du déconfinement, par ordre dispersé selon les pays, retour sur cette période d’isolement qui a vu éclore des actions préventives éloquentes, originales, collaboratives, percutantes, amusantes.
par Nathalie Dassa.

Ces deux derniers mois, la pandémie de Covid-19 a brutalement impacté le globe et radicalement modifié la façon dont les individus vivent, interagissent et entreprennent leurs activités quotidiennes. L’impérative nécessité de « rester à la maison pour sauver des vies » a fait naître des actions de résistance créatives, préventives et solidaires aux quatre coins du monde. Designers graphiques, artistes de renom ou enseignes ont ainsi mis à profit les avantages de la digitalisation pour sensibiliser et mobiliser la population dans la lutte contre le virus. Une situation qui laisse apparaître, à l’heure du déconfinement, une « nouvelle normalité » où le « vivre ensemble » se lie aux gestes barrières et à la notion de « distanciation sociale ». Ou devrait-on dire de « distanciation physique », optée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), qui insiste sur l’importance de « rester physiquement séparé mais socialement connecté ». Une nuance pour une même action, celle de se protéger et de protéger les autres.

Les logos  p r e n n e n t   d  e    l  a     d    i    s    t    a    n    c    e

Nombreuses sont les marques à avoir décidé de modifier temporairement leurs logos pour caractériser cet écart, de 1 à 2 mètres entre les individus, recommandé par les autorités de santé publique. Kappa a ainsi séparé ses deux personnages assis dos à dos ; Audi, ses anneaux ; Volkswagen, son V et W ; ou encore Mercedes-Benz, son cercle et son étoile à trois pointes. De son côté, Hyundai a préféré transformer sa poignée de main traditionnelle en coup de coude. Tout comme Spotify, qui a modelé son logo en forme de masque de protection.

Mais les enseignes n’ont pas été les seules à prendre cette initiative. L’illustrateur slovène Jure Tovrljan s’est amusé à détourner certains logos. La bière mexicaine Corona n’y coupe pas, contrainte de se trouver un nouveau nom. La sirène Starbucks se voit dotée d’un masque. LinkedIn devient LockedIn. Good Year, Bad Year. Ou encore la NBA qui, pour refléter la saison en pause, a troqué le basketteur Jerry West en train de dribbler en une silhouette allongée devant son laptop.

Quelques logos détournés par Jure Tovrljan

 

Des démarches actives qui ont vite fait naître parallèlement #The200Challenge. À ce jour, 34 pays et 1 327 marques ont contribué à ajuster leurs logos en augmentant la distance entre les lettres.

Des illustrations prolifiques et inspirées

Cette période est surtout devenue un porte-voix créatif et engagé pour bon nombre de graphistes aux quatre coins du monde, calfeutrés entre quatre murs. Si l’illustrateur Mathieu Persan s’est démarqué en France avec l’affiche « Restez à la Maison », et dont la dernière nous promeut super-héros à condition de sortir masqué, d’autres ont aussi brillé avec des visuels devenus des messages d’intérêt public et des collectes de fonds.

À commencer par Annie Atkins, qui travaille souvent avec des grands noms du cinéma. La graphic designer galloise, installée à Dublin, a imaginé une série de posters sur Instagram, rassemblant les conseils préférés des internautes. De « Profitez de votre relation ! Mais s’il vous plaît marchez en file indienne ! » à « Habillez-vous pour dîner », elle opte pour des messages au ton léger, avec cette facture rétro typique. L’ensemble s’accompagne de trois règles d’or : « prenez vos distances », « lavez-vous les mains », « appelez vos proches ».

Ailleurs, Jennifer Baer, graphiste et illustratrice pour la NASA dans la baie de San Francisco, propose trois affiches de voyages parodiques au style vintage. La première invite à « Voyager dans notre salle de bains », tout en bénissant le papier toilette. La seconde à « Rendre visite à notre plante d’intérieur », inspirée d’une ancienne affiche de United Airlines conçue par Stan Galli. La troisième montre un surfeur, télécommande à la main, prônant le « Surfez sur votre canapé », inspirée d’un poster de l’artiste Aaron von Freter. Le tout crédité « Issued by the Coronavirus Tourism Bureau. Stay the f* home ».

Le motion design, un storytelling efficace

Les contenus animés se sont naturellement imposés dans le panorama pour des métaphores éloquentes et une compréhension rapide du sujet. Le couple d’artistes espagnols, Juan Delcan et Valentina Izaguirre, basés à Los Angeles, a réalisé une conception graphique devenue virale, avec leurs habituels personnages en allumette. Intitulée Safety Match, elle montre une rangée d’allumettes s’allumant successivement jusqu’à ce que l’une d’elles sorte du rang et coupe l’effet de chaîne. Plusieurs autres animations ont suivi sur le confinement, le personnel soignant, les visioconférences et le papier toilette.

Le Département de la santé de l’Ohio s’est aussi démarqué avec une vidéo centrée cette fois sur des balles de ping-pong posées sur des pièges à souris dans un récit en deux parties. Conçue par l’agence de technologie et de design Real Art, elle a été jugée par le Washington Post comme l’une des visualisations les plus claires sur le sujet. Dans la première, les pièges sont collés les uns aux autres et lorsque la balle tombe sur un piège, elle crée une réaction en chaîne. Dans la seconde, les pièges sont espacés et lorsque la balle est lâchée, elle peut rebondir sans déclencher systématiquement de danger.

Des dessins graphiques selon les cultures

D’autres approches graphiques ont aussi émergé pour tenter d’ancrer simplement les mesures de distanciation dans la vie de tout un chacun, selon les organismes, les cultures, les pays. Pour ses panneaux de signalisation, le National Parks and Wildlife Service en Australie du Sud a utilisé ses animaux emblématiques, les kangourous et les koalas.

Dans sa communication digitale, l’organisation nationale de défense des droits des Inuits au Canada, Inuit Tapiriit Kanatami (ITK), a symbolisé l’intervalle entre deux Autochtones emmitouflés dans leurs anoraks, avec un caribou, une motoneige et une crosse de hockey. L’organisation United Way of Central New Mexico (United Way of CNM) a de son côté opté pour trois tumbleweeds (virevoltants en français), ces fameuses plantes sèches de l’Ouest américain, que l’on voit rouler dans les westerns. BT Young Scientist & Technology Exhibition, un concours de science et de technologie en Irlande, a choisi deux crosses de hurling (hurley). Mais le plus cocasse, c’est sans doute celui de la Floride, réputée pour ses alligators. Le siège du Comté de Leon, à Tallahassee, conseille ainsi de garder au moins un gros alligator de distance entre vous et les autres à tout moment.

Un panorama riche et éclectique

Le site Business 2 Community offre une analyse approfondie sur les nombreuses initiatives des marques en termes de communication visuelle. Mais le secteur de la presse n’est pas en reste. En témoigne l’article « Wondering about social distancing ? » du New York Times. Le directeur artistique Andrew Sondern s’est amusé avec la mise en page, dispersant quatre personnes dans le texte en colonnage, dont les contours les isolent les unes des autres. Le magazine d’origine anglaise Time Out a de son côté modifié son nom en « Time In », décliné dans toutes ses éditions internationales. Et pour son numéro de mai, au passage du déconfinement, le magazine français Society a détaché les syllabes de son titre.

 

Ces deux mois montrent ainsi un panorama protéiforme qui préfigure le large spectre de cette « nouvelle normalité » dans les modes de vie. Des règles de comportement et des mesures d’hygiène devenues les maîtres-mots d’un quotidien qui risque de perdurer, au-delà même de l’état d’urgence sanitaire prorogé jusqu’au 10 juillet dans l’Hexagone.

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