Dès sa mise en ligne, l’affiche désormais célèbre de Mathieu Persan est passée de virale à symbole du confinement contre le Covid-19. L’occasion de s’entretenir avec cet illustrateur de presse engagé pour comprendre le succès de cette initiative citoyenne transformée en véritable campagne de prévention.
par Nathalie Dassa
Visuel rétro, simple et enfantin, texte léger et culturel, couleurs douces sur fond bleu-vert, typo d’action et une injonction en lettres capitales. L’affiche « RESTEZ À LA MAISON », agrémentée de la tagline « Ça n’a jamais été aussi facile de sauver des vies » a remporté les suffrages, relayée des milliers de fois sur les réseaux sociaux. Cette œuvre, on la doit à Mathieu Persan, illustrateur talentueux de 41 ans, passionné de design graphique des années 30 à 60 et du style Art Déco. Sa signature rétro, influencée par des affichistes légendaires (Cassandre, Saul Bass, Alvin Lustig), et ses thèmes engagés ont tôt fait de conquérir la presse et l’édition. Cette initiative citoyenne intensifie son militantisme afin d’exhorter la population à rester chez eux, de limiter la propagation du virus et ainsi de sauver des vies.
L’illustration au service de l’humain
Confinement. Que peut signifier l’importance de ce mot dans un monde qui n’a pas connu de crise sanitaire d’une telle ampleur depuis plus d’un siècle ? C’est tout l’art de cette illustration, devenue un mouvement fort de mobilisation, qui n’est pas sans rappeler le slogan « Je suis Charlie », créé par un autre illustrateur français, Joachim Roncin, suite aux attentats de Charlie Hebdo en 2015. « Comme beaucoup, je n’ai pas pris la mesure de la gravité de la situation », confie Mathieu Persan « C’est une amie médecin qui m’a alerté avant le confinement. Les mesures prises ne sont pas suffisantes, on va droit à la catastrophe, notamment dans les services d’urgence. J’ai fait ce que je sais faire, des affiches, pour encourager la population à se confiner. Mais à la différence de « Je suis Charlie », visuel hommage après la catastrophe, l’affiche est un appel à l’action car nous avons encore les moyens de lutter ».
Si « RESTEZ À LA MAISON » n’a pas rencontré cette même popularité mondiale, elle a marqué les esprits par son message réconfortant et sa résistance passive des plus actives. La conception s’est dessinée très vite dans son esprit. « L’idée était claire, j’ai dû mettre 3/4 d’heures. Je suis resté littéral sur ce qu’est l’isolement : une petite maison seule, que j’ai relié à des fils électriques, comme un cordon ombilical. L’accroche à l’impératif me paraissait évidente. La typo fut aussi très simple. J’ai choisi « Vincent ». Je l’utilise rarement mais elle fonctionne à chaque fois. Je voulais un style avec des chanfreins, qui fasse militaire, très martial, à pondérer avec un message plus léger, rédigé spontanément. J’ai ajouté un accent car la typo est minimale et ne comporte que des lettres capitales. Ce qui m’a plu également, c’est d’imposer le format vertical alors que les gens préfèrent le carré à l’ère d’Instagram. J’aime l’affiche traditionnelle. Elle garde ce côté militant qu’on placarde sur les murs ».
Campagne participative
Face à l’engouement, cet habitué du télétravail décide d’aller plus loin en créant un site dédié avec les affiches traduites en une vingtaine de langues, disponibles en téléchargement. « Les gens ont été rapidement demandeurs de traductions. Un Allemand m’a contacté sur LinkedIn et a milité pour que l’affiche sorte comme en France. Elle a été téléchargée plus de 5000 fois en Allemagne. Cette situation a révélé deux cas de figure : les confinés qui voulaient un visuel réconfortant et ceux qui avaient besoin d’une image pour les pousser dans ce sens ». Son travail a ainsi franchi une nouvelle étape, passant d’une mobilisation à l’action à une anticipation au regard des pays voisins.
Un effet boule de neige qui l’a encouragé à les mettre en vente sur Kiss Kiss Bank Bank, en collaboration avec la galerie parisienne Sergeant Paper, pour participer à l’effort collectif du Covid-19, soutenir les personnels soignants et reverser les bénéfices aux fondations et directions du mécénat de divers CHU de France. « Je voulais tirer parti de cette initiative dans le monde réel. C’est facile de liker et de partager, mais le message de l’affiche sous-tend que ce confinement sauve des vies. On évite que les systèmes de santé soient saturés et on permet aux médecins de travailler correctement pour préserver et soigner les malades. Emmanuel Macron a utilisé une métaphore martiale, il parle de « guerre ». Pour les personnes que je connais dans les services de réanimation, ce n’est pas qu’une métaphore, il s’agit de « tranchées », d’une « médecine de guerre », où les gens meurent seuls ». Le passage dans le JT de 12h45 de M6 a fait décoller cette campagne participative (effective jusqu’à ce mardi 7 avril à minuit), qui a déjà collecté plus de 70 000 €.
Identité visuelle forte
« RESTEZ À LA MAISON » traverse ainsi les frontières et impose son message universel. Croix-Rouge, Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, stars de cinéma et de la musique, tous ont relayé l’affiche dont la popularité se fait grandissante. Et les interviews s’enchaînent dans les médias français et à l’étranger (Forbes aux États-Unis, Spiegel en Allemagne). « S’il est naturel pour moi qu’une illustration ait du sens, c’est la première fois qu’un de mes sujets mobilise autant », confie-t-il avec fierté. Un succès qui ne va hélas pas sans plagiats. Cette récurrence dans l’univers de l’illustration ne vient pas systématiquement des anonymes mais aussi de grandes marques, comme ici Orange et Fauré Le Page, qui se sont réapproprié le concept avant la levée de boucliers. « Je n’ai jamais été confronté à cela jusqu’ici. Cette image est libre de droit pour être justement partagée, mais profiter d’une situation dramatique pour faire de la pub, c’est le comble de l’abject. Orange évoque un loupé et a fait ses excuses publiques. En revanche, Fauré Le Page a avancé des motifs lapidaires. Comment ont-ils pu penser qu’ils pouvaient prendre un visuel, l’idée complète, coller leur logo et trouver cela normal ? J’ai alerté sur Instagram, Linkedin et Facebook, et les internautes se sont mobilisés ».
Esthétique de crise à l’heure du changement
De Joachim Roncin à Mathieu Persan, le rôle de l’illustrateur tend ainsi à prendre une place de plus en plus importante à l’ère des réseaux sociaux. Quand on lui demande comment une affiche parvient à toucher, conscientiser et faire comprendre plus facilement aux citoyens le confinement face aux discours du gouvernement, il répond sans équivoque : « Le gouvernement s’est enfermé dans une stratégie complètement ratée. On ne peut pas dire aux gens de rester chez eux et d’aller voter. Ces élections n’auraient jamais dû avoir lieu, c’était une absurdité. Et en termes de santé publique, une hérésie complète ». Et d’ajouter « Cette affiche a fonctionné car elle est arrivée avant l’annonce du confinement, le vendredi après-midi, au lendemain de la fermeture des écoles. Il n’existait pas de visuel qui supportait cette idée. Ce fut ensuite une prise de conscience massive des gens qui se sont mobilisés pour protéger les services de santé, se protéger et protéger les autres ». Une initiative précieuse qu’il continue de développer, cette fois pour les besoins du gouvernement, via une nouvelle illustration au format carré, alignée, combative, pour des jours meilleurs. Les jours d’après.
Quelques liens pour approfondir
Mathieu Persan
Restez à la Maison
Campagne Kiss Kiss Bank Bank
Sergeant Paper
Un grand merci à Mathieu Persan pour cet interview.