Mise au banc à l’aube des années 90 au profit de l’insigne mondialement connu, l’icône Ver (Worm) retournera dans l’espace pour orner une fusée SpaceX qui transportera des astronautes à l’ISS en mai 2020. L’occasion de retracer l’histoire de la création de ce symbole d’autrefois qui n’a pas toujours été aimé.
par Nathalie Dassa.
Novatrices, Arrondies, Simples, Aérées… ces quatre lettres tout de rouge vêtues font chaud au cœur et émeuvent, redonnant toute leur noblesse à la technologie de pointe de la National Aeronautics and Space Administration. Alors que le monde est en confinement, le fameux logo Ver est revenu en force le 2 avril 2020 sous l’impulsion de l’actuel administrateur, Jim Bridenstine, pour célébrer le retour des vols spatiaux humains sur des lanceurs américains au départ du Kennedy Space Center, Floride, prévus à la fin du mois de mai. Quarante-cinq ans après sa conception et vingt-huit ans après sa révocation, ce mot-symbole retrouve ainsi sa raison d’être, s’octroyant une place de choix auprès de son homologue officiel rétrofuturiste.
Fly me to the Moon
Depuis sa création en 1958, l’agence spatiale n’a finalement eu que deux logos et trois approches : l’insigne « Boulette de viande » (Meatball), que le monde entier connaît, le logotype « Ver » (Worm) et le sceau (seal) dédié aux remises de prix et cérémonies. En 1969, les images de l’alunissage furent un rêve devenu réalité à l’échelle planétaire. L’attrait et la course à l’espace ont cependant commencé à décliner après la fin du programme Apollo en 1972. Selon le New York Times, la NASA a alors décidé de repenser son cahier des charges avec une volonté, celle d’entrer dans l’ère moderne grâce au projet de la navette spatiale et d’exprimer un « sentiment d’unité, de précision technologique, de poussée et d’orientation vers l’avenir ». Les deux logos mythiques se font ainsi représentatifs de ce contexte de reconquête en pleine Guerre froide.
Poussés par Richard Nixon, les ministères ont lancé une refonte de leur communication avec l’aide du National Endowment for the Arts (NEA), le fonds national pour les arts. La NASA fut en tête de liste pour bâtir une véritable identité visuelle qui évoquerait l’avenir de l’organisation américaine plutôt que son passé. Dans le cadre du programme fédéral d’amélioration graphique, le studio de design Danne & Blackburn, face à d’autres sociétés concurrentes, a su se différencier et briller par sa vision longue portée.
Retour vers le Futur
Le logo Ver voit ainsi le jour en 1975 avec sa forme épurée, en zigzag, comme un ver de terre, son lettrage N-A-S-A épais, sa couleur rouge et ses A sans barre transversale évoquant les nez de fusées. Un regard assez puissant sur l’avenir pour supplanter l’insigne « boulette de viande » old school, créé en 1959 par James Modarelli, avec sa sphère bleue représentant une planète, sa pincée d’étoiles pour l’espace, son chevron rouge en guise d’aile pour l’aéronautique et son vaisseau spatial en orbite. Le tout dans un lettrage blanc pour signifier le voyage dans l’espace et une expression (Meatball), tirée du jargon aéronautique relatif à la procédure d’atterrissage sur les porte-avions qui a longtemps aidé les pilotes de l’US Navy.
« La boulette de viande était compliquée, difficile à reproduire et chargée d’images de Buck Rogers », raconte Richard Danne sur Creative Review. « Il est né du syndrome des aviateurs d’antan où le battage médiatique et le fantastique dominaient la logique et la réalité. Notre logotype était tout le contraire : il était clean, progressiste, pouvait être lu à un kilomètre et était facile à utiliser sur tous les supports.». Sur le site de la NASA, il pousse plus loin sa réflexion : «le Ver et son système de conception représentent une agence dont le but est d’explorer l’espace et de repousser les limites de la science. Où la boulette de viande se voit comme un dessin animé old school, le ver est élégant, futuriste, avant-gardiste».
Pourtant, il ne fit pas l’unanimité, notamment auprès des vétérans et de l’administrateur James C. Fletcher, arguant dès sa refonte « l’incompétence du logo et le manque de projection ». Les années 1990 ont été synonymes de crise pour l’agence, et l’administrateur de cette période, Daniel S. Goldin, y a vu l’occasion de la revitaliser. Selon Bert Ulrich du département de communication de la NASA, toujours sur Creative Review, « Les anciens se souvenaient avec affection des vieux insignes à l’époque d’Apollo, avant la tragédie de la navette Challengerde 1986 ». Un consensus qui, au fil du temps, a eu raison du logo et a sonné le glas en 1992.
Bible de référence
Mais ce que la Boulette de viande a renvoyé comme rêve et espoir, le Ver en a rapproché l’agence spatiale des normes d’excellence de conception graphique et visuelle. Car la force de ce symbole, c’est aussi son manuel, le NASA Graphics Standards Manual. Un outil d’apprentissage « rationnel », devenu un artefact de l’histoire du design graphique de la fin du XXe siècle, pour son approche méticuleuse et son récit qui l’entoure.
Il évoque en détail l’identité visuelle, la charte graphique et la manière d’utiliser le logo sur toutes sortes de supports (en-têtes de lettres, d’enveloppes, de timbres), de véhicules (aéronefs, camionnettes, voitures), d’uniformes, de publications, de panneaux… Il renseigne sur sa typographie, telle Helvetica, considérée comme la plus importante dans la communication de l’agence ; « les lettres cursives sans serif rendent le logo Ver parfaitement lisible, même à très petites tailles ». Mais aussi sur sa teinte, NASA Red, aujourd’hui définie par le système universel de correspondance des couleurs de la société Pantone, correspondant à Pantone n° 179. Tout est rigoureusement pensé jusqu’au placement du logo sur les navettes, « recouvertes de carreaux résistants à la chaleur dont les graphiques ne pouvaient être placés que dans quelques zones visibles sur les photos pendant le décollage ».
Et c’est pour tout cet héritage précieux qu’une campagne sur Kickstarter a été lancée en 2015, à l’initiative des designers Jesse Reed et Hamish Smyth de Standards Manual, pour le rééditer dans un bel écrin de 220 pages, en « célébration du travail de Danne et Blackburn, ramené sur Terre quarante-cinq ans après sa conception et vingt-huit ans après son retrait».
La réédition de la charte graphique de la NASA de 1975 de Danne & Blackburn.
Entre reconquête et renouveau
Cet emblème étasunien atteste ainsi de sa puissance sur le temps et l’imagerie collective depuis sa renaissance le 2 avril. Une date doublement importante pour son créateur qui soufflait également ses 86 ans. À la fin du mois de mai, Ver exhibera ainsi son monogramme flamboyant sur le côté du lanceur Falcon 9 dans le cadre du second vol d’essai, « Demo 2 » du Crew Dragon, pour transporter les astronautes Doug Hurley et Bob Behnken vers l’ISS. Rappelons qu’en mars 2019, le vol inaugural de cette capsule SpaceX, en développement depuis 2014 et financé par la NASA, a ouvert aux États-Unis une nouvelle ère du transport spatial, transférant près de deux cents kilogrammes de fret pour les astronautes à bord de la station spatiale.
La NASA et l’entreprise d’Elon Musk relancent ainsi les vols habités qui avaient pris fin en juillet 2011 avec l’équipage d’Atlantis. Pendant huit ans, les astronautes ont été contraints d’utiliser le Soyouz russe pour effectuer leur rotation à bord de l’ISS. « Il y a de fortes chances que le logo soit présenté de multiples façons sur Demo-2 et à l’avenir », souligne le communiqué de la NASA, avant de conclure « Il semble que le Ver se reposait pour la nouvelle ère de l’exploration spatiale, même si la Boulette de viande restera le symbole principal ». Avec en ligne de mire l’intrigante planète rouge, qui lui sied au teint, vers un nouvel âge d’or de la conquête spatiale ?
Avant que les astronautes d’Apollo ne s’envolent pour la Lune, ils ont franchi les portes du Kennedy Space Center. Lorsque les astronautes Bob Behnken et Doug Hurley embarqueront à bord du Crew Dragon pour la mission SpaceX Demo-2 vers l’ISS, ces portes seront à nouveau utilisées.)